Fabrice Castanet : Bonjour, M Sandro Dossi. J'ai découvert vos dessins dans les pages des BD de mon enfance où se cotoyaient des personnages comme Dodu (Geppo), Popeye (Braccio di Ferro), Nonna Abelarda (Tartine), Kiko ou encore Félix le chat : c'était dans les années 70. Ces petites BD ont depuis disparu des librairies, hélas.
Sandro Dossi : Je suis ravi d'avoir dessiné des personnages qui ont fait partie de votre enfance et de vous avoir ainsi procuré du plaisir. Désormais, ils ne sont hélas plus que des souvenirs pour les fans nostalgiques, n'étant plus disponibles à la vente !
Vous êtes né le 16 mai 1944 à Monza, en Italie : quelle fut votre enfance au sortir de l'après-guerre? Quels fumetti, quels héros de BD vous ont alors marqué?
Mon enfance a été heureuse. J'ai grandi près du circuit de Monza et je me souviens encore du bruit de l'ambulance transportant le corps du coureur automobile Alberto Ascari, qui est décédé alors qu'il testait une Ferrari, nous étions en 1955. J'ai toujours été attiré par le dessin et suis devenu dingue de ce que Barks dessinait dans “Topolino”. Je lisais le “Corriere dei Piccoli” et j'aimais beaucoup les livres d'aventure. Jules Verne fut mon auteur favori et j'essayais d'illustrer ce qui m'avait le plus frappé dans ses histoires!
Quelle fut votre scolarité? D'après certaines sources votre premier emploi fut pour une agence de publicité : c'est là-bas que vous avez rencontré Sangalli, né lui aussi à Monza, quelques années avant vous, semble-t-il. Vous vous connaissiez déjà?
Après l'école, j'ai étudié à l'Institut Artistique de Monza, à la Villa Reale, tout en travaillant dans une petite agence de publicité, le studio Trivulzio. Mais ma passion était la bande dessinée! J'avais 17 ans et c'est à ce moment que j'ai été mis en contact par un ami de la famille avec le dessinateur Pierluigi Sangalli qui avait démarré son activité deux ans auparavant : j'ai perdu la tête ... .. J'ai quitté l'école et j'ai rejoint Pierluigi où j'ai commencé à réaliser mon «rêve» en encrant ses dessins, faisant maintenant partie du clan "Bianconi".
De 1967 à 1996, vous travaillez alors pour Renato Bianconi (Metro)
J'ai officiellement commencé chez l'éditeur Bianconi en 1964 par quelques dessins dans des livres de l'éditeur et puis surtout par ma première histoire de Félix le chat (1) ! Ensuite, j'ai continué de dessiner pendant plus de 35 ans les personnages de Popeye (2), Dodu (3), Merlin (4), Eugene (5), Kiko (6), Tom & Jerry (7).... A cette époque les collaborateurs de Bianconi (venus d'Alpe pour la plupart) étaient de grands noms comme Carpi, Bottaro, Rebuffi, Nicola Del Principe, Floriano Bozzi, Misson, Arias .... des artistes, que j'ai toujours admirés, je vivais mon rêve, je les ai souvent croisés dans les rédactions. J'avais 18 ans en 1962 et tout le monde m'appelait “ le jeunot” et cela jusqu'à la mort du mythique "Renato Bianconi"!
Parlez nous de cet éditeur, un peu mystérieux qui avait débuté chez l'éditeur milanais Alpe et qui avec son "univers" fit concurrence au roi Disney!
Renato Bianconi était un géant doux, très grand et fort. En surface, il semblait de prime abord bourru alors qu'au fond, c'était vraiment une belle personne et, pour moi comme un père! Au départ, il débuta comme calligraphe (celui qui écrit les paroles dans les bulles) pour l'éditeur milanais Alpe et après avoir appris le métier, il s'est courageusement lancé, devenant rédacteur en chef! Lorsque je parle de lui, je m'excite ... Je lui dois tant!
Pour Bianconi, vous multipliez les planches sur Popeye, Geppo, Félix, Tom et Jerry... Quels autres personnages y avez vous dessinés? Les scénarios étaient parfois signés par votre épouse, Loredana. Je suppose que Motta ou d'autres en ont aussi écrit ou vous-même?
Au début, j'ai desssiné sur des scripts d'Alberico Motta, puis j'ai commencé à écrire des scénarios avec l'aide de ma femme qui est la soeur de Motta, lui-même, le "maître" de Sangalli.
Avez-vous créé, inventé des personnages?
Bianconi préférait que ses dessinateurs exploitent des personnages sous copyright. En 1973, les droits de Pinocchio ont expiré et avec Alberico Motta et Pierluigi Sangalli nous avons eu l'idée d'une publication de ce personnage. Bianconi a accepté avec enthousiasme. Le premier dessinateur à définir les caractéristiques du personnage a été Tiberio Colantuoni, puis chacun de nous l'a adapté à notre style.
Vous rejoignez If en 1980, à l'initiative de votre ami et agent Gianni Bono : là encore, vous dessinez de nombreuses planches des héros Disney dont Paperinik (Fantomiald).
Dans les années 80, les éditions Bianconi ont commencé à décliner. J'ai alors rejoint le staff de Gianni Bono et j'ai dessiné des personnages Disney jusqu'en 2006 soit plus de 200 histoires à ce jour (Mickey Mouse, Donald Duck, Fantomiald ... ..).
Vous avez aussi dessiné des albums d’autocollants avec Caliméro, la famille Smiley et Peter Cottontail et des jeux pour Epierre (Supergames, Enigmistica & Quiz) et Prezzemolo (mascotte de Gardaland) pour Gaghi Editore. Pour De Agostini, vous avez illustré Los Pappagallos et Orsetti pour Ferrero. Je ne connais pas ces travaux : pouvez vous en dire plus?
Los Pappagallos et les Ours ont été des livres publicitaires (vendus en kiosques) pour Ferrero contenant plusieurs bandes dessinées, des illustrations, etc.
De 1991 à 1993,pour le Corriere dei Piccoli et Rizzoli vous adaptez encore des personnages de dessin animé (de la Warner Bros) comme Wile E. Coyote mais aussi La Panthère Rose, Les Pierrafeu (The Flintstones). S'agissait-il de comic strips? La publication dans un journal devait être différente de ce que vous aviez connu jusque là, non?
Habitué à adapter mon style aux personnages sous copyright, je n'avais aucune difficulté à coopérer avec le “Corriere dei Piccoli” sous le pseudonyme de Sidos (anagramme de Dossi) : j'y ai dessiné tous les personnages de la Warner, c'était dans les années 90. The Pink Panther a été conçu pour un album intitulé "I Paperotti", tandis que les Pierrafeu étaient publiés dans un quotidien économique "Il Sole 24 Ore" et pour un album à l'occasion de l'entrée en vigueur de l'Euro pour une banque d'Emilia Romagna. Toujours pour l'arrivée de l'Euro, j'ai imaginé pour Panini un personnage appelé Eurillo (un cricket) qui fut édité dans deux albums. J'ai même réalisé quelques illustrations des Schtroumpfs pour Mondadori (“La cuisine des Schtroumpfs”), j'ai adapté Calimero Topo Gigio (pour FPM) qui sont des personnages très appréciés par les enfants (1991-1994), Prezzemolo, la famille Smiley et j'ai aussi fait des albums avec Peter Cottontail et Frosty (qui sont des personnages secondaires de la Warner). En 1991, j'ai fait plusieurs récits d'Élastoc (Tirammolla) dans "Nuovo Tirammolla" des éditions Vallardi. J'ai travaillé pour G. Baby (années 2000), les Editions Paoline (2000) sur d'autres personnages de la Warner comme Svicolone, Sylvester, Tom & Jerry, Huckleberry Hound, Gorilla Magilla, Inky et Dinky, Speedy Gonzales ....
À l'heure actuelle, avec la crise qui sévit dans le milieu de la BD, je profite de mon expérience passée chez Epierre (SuperGames, Enigmistica Quiz) pour proposer des collaborations à il Corrier Enigmistica (RCS Periodici) et d'autres revues dans ce domaine (rébus, gags, énigmes).
Quels sont vos travaux actuels, vos projets?
J'ai récemment publié une nouvelle version de Geppo "Inferno 2000" avec Andrea Leggeri.
Pour WOW, au Musée de la Bande Dessinée de Milan, inauguré en avril dernier, je réalise deux albums, le premier sur Giocchi Dimenticati et l'autre sur le Circuit de Monza. Pour l'instant ce sont mes projets immédiats.
Avez-vous des "hobbies"? Peignez-vous, par exemple?
Dans le passé, j'ai joué au tennis, fait de la peinture. Maintenant, je me contente de lire (tout m'intéresse) et d'écouter de la musique de tous les genres. Pendant des années, j'ai songé à reprendre la peinture...mais je ne l'ai jamais fait!
Avez-vous jamais dessiné des personnages réalistes? Cela vous a t-il tenté?
À mes débuts, j'ai essayé de dessiner une histoire de l'Ouest par hobby, mais après les premiers résultats décevants, j'ai décidé que mon parcours serait la bande dessinée humoristique !
Revoyez-vous toujours vos amis et collaborateurs de l'époque Bianconi?
Je vois souvent mes amis Alberico et Pierluigi,et il y a deux ans, nous avons fait le tour de la Lombardie avec une exposition itinérante, reprenant tous les personnages de Bianconi, avec la colaboration des municipalités et des écoles ! La dernière exposition, la plus importante de toutes ces dernières années, a été organisée au Val D'Aoste à Châtillon, au château d'Ussel, et a duré quatre mois.
La région qui est bilingue a créé un catalogue et un album de vignettes des personnages de Bianconi, y compris en langue française !
Merci, Monsieur Dossi.
Fabrice Castanet, mai 2011.
(1) Le personnage de Félix le chat a été créé en 1919 aux USA dans le dessin animé « Feline Follies » puis adapté en BD dès 1923 aux USA. Une version italienne (Gatto Felix) est proposée par
les éditions Renato Bianconi qui proposent des épisodes inédits de ce personnage illustrés par Sandro Dossi, Alberico Motta, Luciano Gatto, Chierchini, Pier Luigi Sangalli, Umberto Manfrin, Michele Gazzari (textes), Mario Sbattella, Bruno Marraffa dans la revue "Soldino" et dans son propre titre à partir de 1962 (296 numéros). Dans les épisodes italiens, Félix est un petit chat noir avec une queue en point d’interrogation qui évolue dans un monde humanisé, entouré de ses neveux Tiki et Toko (Inki e Dinki), de sa fiancée, Kitty, une jolie chatte blanche et de son meilleur ennemi le chat Patte-Noire, sorte de croisement entre Pat Hibulaire et la Bombarde. Au départ, comme Mickey, il est simplement affublé d’un slip puis peu à peu habillé en être humain. Les épisodes italiens sont publiés en France par la SFPI puis DPE entre 1962 et 1982 (dans Kiko Poche, Félix le chat Poche, Nico poche, etc.) et finalement Greantori.
(2) POPEYE a été créé en 1929 par l'américain E.C. Segar dans son strip « Thimble Theatre » (KFS) et, fort de son succès fut adapté en dessin animé par les frères Fleisher entre 1933 et 1957. En Italie, dans les années 60, l'éditeur Renato Bianconi propose des bandes inédites de « Bras de Fer » (Braccio di Ferro) dans son propre mensuel (814 numéros !) et autres titres dessinées par Pier Luigi Sangalli, Sandro Dossi, Alberico Motta, Tiberio Colantuoni, Mario Sbattella et Fedeli, s’inspirant davantage des dessins animés que de l’œuvre originale. Les personnages secondaires vivent par ailleurs leurs propres aventures comme souvent chez Bianconi que ce soit sa fiancée Olive (Olivia), Gontran, Georges, un géant simplet (Grissino), Poupa le "papa" de Popeye (Trinchetto), Timothée le concurrent musclé et sans cervelle de Popeye (Timoteo) et accessoirement factotum de La sorcière des mers (Haggy) ou Mimosa, son fils adoptif (Pisellino). En France, le Popeye "italien" de Bianconi est publié dans les différentes revues de Jean Chapelle comme Captain présente Popeye, Ajax, Félix le chat poche, Dodu Poche, Zorro, etc. Plus tard dans les années 80, d'autres éditeurs prirent le relais comme Greantori ou les Editions du Château.
(3) DODU (Il Diavolo Geppo) est sans doute la création la plus importante des éditions Bianconi. Dodu, a un problème : il est un diablotin à la cour de Satan, condamné à exercer une mauvaise action par jour mais il est intrinsèquement bon envers le genre humain. Dans cette parodie enfantine de l’enfer de Dante, Geppo s’ébat dans des gags classiques qui parfois mettent en lumière les personnages secondaires hauts en couleurs comme sa majesté Satan (Satana), qui enrage devant tant de bonté, le chat pique-assiette et cruel de Satan, Caligula (Caligola), Bélzébuth, le bras droit de Satan, le serpent tentateur Sauveur (Salvatore) et plus tard le fantome Eugène. Geppo a été créé en août 1955 dans le mensuel "Volpetto" par G.B Carpi sur une idée de l’éditeur qui l’avait d’abord proposée à Luciano Bottaro. Il aura ensuite (après un passage par "Soldino") son propre titre de 1961 à 1994 (au moins 399 numéros, entre-temps, il sera édité par Metro). Geppo est dessiné la plupart du temps par le prolifique Pierluigi Sangalli mais aussi Guilio Chierchini, Alberico Motta (texte et/ou dessin), Luciano Gatto entre 1956 et 1960, Agnese Fedeli et Sandro Dossi, tandis qu’Attilio Mazzanti signe quelques textes. Ce petit personnage connaîtra en Italie un incroyable et durable succès, tandis qu'en France, il est publié d’abord sous son nom italien dans Bimbo et Tartine au cours des années 50-60, Geppo, Bimbo Spécial puis Bimbo-Geppo (1961-68) et rebaptisé Dodu en 1970 dans Dodu poche, Félix le chat (poche), Tartine, Dodu Géant, etc.
(4) Magicus ou Le mage Chicorée (Mago Merlotto) est un magicien inspiré de l’enchanteur Merlin, qui vit dans la forêt, accompagné d’un hibou parlant :il fut créé dans le périodique Geppo et mis en images par Pierluigi Sangalli, Sandro Dossi, Tiberio Colantuoni et Alberico Motta. En France, la SFPI le publie de façon erratique notamment dans les petits formats Bimbo, Geppo, Kébir Dodu ou Dodu Poche.
(5) Le fantôme EUGENE (Il fantasma Eugenio) est un fantôme aux préoccupations très terre à terre et qui vit au milieu des êtres humains. Il a été imaginé dans la revue italienne Geppo pour l'éditeur Renato Bianconi en 1963. Dessiné par Sandro Dossi et Pier Luigi Sangalli (Alberico Motta aurait participé aux récits également), il est affublé de deux neveux farceurs, Pip et Pap (Zip e Zap en V.O.) et d’un « ennemi », Il fantasma Peppone. Il vit également plusieurs aventures aux côtés de Dodu. On pouvait le lire en France dans les pages de Bimbo (il s’appelle alors Eustache et ses neveux Zig et Zag), Geppo, Kébir, Dodu Poche puis Niko Géant (les neveux se nomment alors Zip et Zap comme dans la version italienne).
(6) : Kiko (Chico) est un canard noir avec de grand yeux, affublé d’un petit chapeau et d’un short, entouré de deux neveux turbulents Tim et Tom, de son fidèle chien Flop, vivant dans un monde d’animaux humanisés, voyageant, exerçant mille métiers et affrontant des méchants de tous poils. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il est sans rapport avec Chico Cornacchia, il s’agit vraiment d’un nouveau personnage voulu à l’origine par l'éditeur Renato Bianconi : ce dernier souhaitait un chat ou un canard, or comme Félix le chat existait déjà, Motta et d’autres ont créé ce canard proche de Donald. Parmi les personnages secondaires, l’excentrique Pépé Luc (Nonno Zaccaria) vêtu d’une redingote et d’un haut de forme vit ses propres aventures (voir Dodu Poche) tandis que le Prof Eureka, archétype du savant génial et farfelu est également un personnage secondaire important de la série Prosper. Le personnage de Kiko a été animé par Alberico Motta (texte et dessin), Sandro Dossi et Pierluigi Sangalli dans son propre titre, "Chico" entre 1969 et 1977. Il a été publié en France dans Kiko Poche, Félix le chat, Tartine, Geppo, Amigo, Dodu Poche, Olac, Prosper Poche et il est parfois traduit en Nico (y compris dans le titre homonyme, Nico Poche). Cette série tente de faire concurrence (ou plutôt d'emprunter un peu du succès) aux personnages de Disney. On verra sans trop forcé de troublantes ressemblance entre l'oncle de Kiko et l'oncle Picsou par exemple... de même on lui attribue deux neveux à la manière de Riri, Fifi et Loulou même si eux sont trois le principe du scénario est le même, ils portent d'ailleurs des bérets ressemblant étrangement à celui de Donald. Il hérite même d'un chien à la manière de pluto pour Mickey...
(7)1976-83
Fabrice Castanet
Bibliographie : Pimpf Magazine n°12, www.originalcomics.it